Adieu à Valeriu


C’est avec beaucoup d’émotion que je prends la parole ce matin pour dire un dernier adieu à mon ami Valeriu et essayer d’apporter un peu de réconfort à sa famille: Aurelia, Romaniţa, Julien. Cela fait près de quarante ans que nous étions liés l’un à l’autre. Nous avions fait connaissance en 1970, quand il était arrivé à Aix, pour occuper le poste de lecteur de roumain, avec sa femme, Aurelia, et sa fille, Romaniţa, qui à l’époque était un peu plus petite que Julien. La dialectologie que nous pratiquions l’un et l’autre, lui au Centre de Phonétique et de Dialectologie de l’Académie de Bucarest, moi à l’Université de Provence, à Aix, nous a tout de suite rapprochés. Et ce fut ainsi le début d’une longue et réelle amitié, d’une amitié qu’on peut dire fraternelle, d’une véritable fraternité, qui dès le début fut étendue à nos deux familles.
Nous avons évidemment beaucoup de souvenirs en commun, souvenirs de moments très heureux que nous avons vécus ensemble, à Aix, à Marseille, dans la Drôme, ou encore en Roumanie où nous étions magnifiquement accueillis, mais souvenirs aussi de difficultés de diverses sortes que nous nous efforcions de partager. Il serait trop long d’égrener tous ces souvenirs et ce ne serait ni le moment ni le lieu.
Mais je voudrais surtout insister sur quelques aspects de la carrière universitaire que mena Valeriu Rusu à Aix. Car ce fut un grand universitaire qui fit honneur à l’institution qui l’a accueilli en deux temps successifs: d’abord pour un emploi temporaire de lecteur, puis à partir de 1987, date à laquelle il décida d’émigrer en France, pour des fonctions durables qui ont été de professeur associé, de maître de conférences, et enfin de professeur au plein sens du terme et de professeur émérite à partir de sa mise à la retraite.
Quand il arriva à Aix en 1970, Valeriu Rusu trouva à l’Université un enseignement du roumain qui était encore très balbutiant et marginal. Peu à peu, grâce à sa compétence bien sûr, mais aussi grâce à son dynamisme, son enthousiasme, son dévouement aux autres et tout particulièrement à ses étudiants, il a développé d’une façon considérable la petite section de roumain du départ et il a ainsi donné à la langue et à la culture roumaines à Aix toute la place qu’elles devaient avoir dans le concert des langues romanes.
Enseignant très efficace et chercheur actif, qui laisse derrière lui une œuvre scientifique très importante, écrite en roumain et en français, dans le domaine de la dialectologie, mais aussi de la culture populaire, de l’histoire, de la littérature..., Valeriu Rusu nous a séduits aussi à Aix par ses qualités d’animateur et de la façon très heureuse dont il a su faire rayonner la culture roumaine au-delà du cercle de ses étudiants, dans l’université et dans la ville d’Aix. Je donnerai seulement quelques exemples significatifs: l’invitation à Aix dans les années 1970 de ce grand messager de la culture roumaine qu’était Zamfir, le joueur de flûte de Pan bien connu; le cercle poétique formé d’étudiants de différents âges, qui traduisit en français des œuvres poétiques d’Eminescu ou de poètes plus récents et les fit connaître à l’Université et en dehors dans des manifestations culturelles très appréciées: l’intervention d’Emmanuel aujourd’hui est un bel exemple de la réussite de cette action poétique universitaire; les colloques scientifiques enfin qu’il organisa à l’Université dans le domaine de la dialectologie ou de la littérature et qui attirèrent bien des chercheurs venant souvent d’autres horizons et d’autres universités.
Enfin, je voudrais rappeler que Valeriu Rusu, qui n’a jamais oublié son pays d’origine, la Roumanie, où il retournait chaque année, depuis la chute du régime Ceauşescu, et où il apportait sa contribution à la vie scientifique, a manifesté une attention particulière pour sa province natale, la Moldavie, arrachée à la Roumanie, comme on le sait, et rattachée à l’ancienne U.R.S.S., puis devenue indépendante. En invitant des collègues moldaves, en organisant avec eux des manifestations et des publications, en y allant lui-même avec Aurelia, en particulier pour recevoir le titre de docteur Honoris Causa de l’Université de Chişinău, il apporta à ce pays ces dernières années une aide scientifique extrêmement précieuse.
Par tes qualités humaines incontestables, ta gentillesse, ta gaieté, ta joie de vivre, ton enthousiasme si communicatif, qui allaient de pair avec une énergie et une volonté qui forçaient l’admiration, tu as su conquérir l’estime et l’amitié de beaucoup de personnes en Roumanie et en France. Tu nous as beaucoup apporté et nous t’en sommes infiniment reconnaissants. Nous ne t’oublierons pas. Adieu, Valeriu.