La causalité entre justification et explication
La causalité se définit comme une relation entre deux événements ou deux phénomènes, dont l’un est la cause et l’autre l’effet. Nous dirons qu’il existe une relation de causalité entre deux événements ou deux phénomènes seulement quand un événement (ou un phénomène), sous une forme ou une autre, est cause d’un autre. Cela exclut, par conséquent, la simple relation d’identification ou celle de succession empirique entre deux événements. Dans la mesure où la causalité nous aide à saisir l’essence des choses, elle est une relation ontologique, de découverte et d’explication causale. Elle rend compte du caractère «actif» de l’antécédent, ainsi que de la nature même du processus d’ «accomplissement» de l’effet, c’est-à-dire des «conditions» nécessaires et suffisantes qui déclenchent le résultat (ou dans l’absence desquelles l’effet ne s’accomplit pas).
La signification de la causalité ne peut se dissocier de la relation de succession dans le temps et dans l’espace. La causalité est donc une relation entre événements réels et qui s’accomplissent dans un temps réel. La succession dans l’espace présuppose que la relation de causalité implique aussi la contiguïté des phénomènes interconnexés. En ce sens, la causalité a une extension plus grande que la notion de déterminisme: la cause et son effet doivent entre dans un contact spatial immédiat. Comprise dans le cadre de cette restriction spatio-temporelle, la causalité se distingue aussi de la causation. Seule la première implique la succession comme un objet de l’expérience.
La cause et l’effet peuvent être découverts, tandis que la relation C à E, n’étant pas un événement observable, est interprétable comme une projection intellectuelle sur la réalité. Le sens restreint ou maximal est associé ordinairement aux emplois du mot CAUSE. Cela admet la connaissance de la connexion entre la cause et l’effet dans les termes de l’action et de l’efficacité, saisies dans la production de l’effet et contenues dans le mécanisme et les conditions nécessaires pour la production respective.
Dans la relation A est cause de B, le premier facteur est habituellement considéré comme élément agissant, qui produit ou qui est en état d’engendrer un certain effet. L’interprétation de l’élément A comme efficient nous contraint à considérer la causalité comme une sorte d’action. Le fait de concevoir cette « action » dans le temps assigne à l’effet la place seconde, aucune cause ne pouvant être reconnue comme postérieure à son effet, même si cet effet pouvait, à son tour, devenir ultérieurement une CAUSE2 agissant sur la CAUSE1.
La dissymétrie entre Cause et Effet n’exclut donc pas seulement une distinction sémantique, mais impose aussi un décalage temporel obligatoire à la transmission de l’action, depuis C pour obtenir un certain E. Cette dissymétrie présuppose également une inégalité virtuelle sur le plan de l’importance intrinsèque de C par rapport à E. Le fait qu’une « petite cause » peut avoir de « grands résultats » n’exclut ni l’inégalité inverse, à savoir la disproportion entre l’intensité de C par rapport à E. La relation entre deux événements où l’accomplissement de B implique comme une nécessité la réalisation de A est glosée:
«A suffit à produire B»
Cela implique une relation très étroite entre deux événements dans lesquels seulement l’affirmation de A rend nécessaire et possible l’accomplissement de B. L’assimilation de la cause suffisante à la notion de condition favorable peut porter à supposer que l’atténuation de l’idée de cause relève d’un affaiblissement de la relation de nécessité qui devrait exister entre A et B, et l’affirmation de l’idée de probabilité:
«A est la cause de B vs A est une cause de B.»
Il ne suffit pas qu’un événement A implique un événement B pour interpréter le premier comme cause du second. Le fait d’y adjoindre l’idée de nécessité, à savoir:
«A est la cause nécessaire de B»
implique aussi l’idée d’ « unicité » de cette cause. La production de l’événement B, dans un contexte donné, peut avoir pour cause l’événement A et seulement l’événement A. Cela n’exclut pas cependant que B soit virtuellement engendré par d’autres ou plusieurs causes, fait qui peut être glosé par «A est une cause de B»; l’emploi de l’indéfini indique le fait que l’on présuppose qu’il y a au moins un événement A dont on puisse affirmer être cause de B. Si, dans le premier cas, l’existence de la causalité a été démontrée en un sens fort, dans le second nous pouvons parler d’une causalité en un sens atténué du terme, où l’on met en doute l’existence d’une véritable cause.
La causalité n’affirme pas des connexions spécifiques entre des classes d’éléments, mais justifie, au niveau méta-scientifique (i.e. philosophique) la possibilité d’établir de telles connexions. Si le locuteur présente l’argumentation d’un fait, il pose une suite de faits dont la conclusion (interprétée comme vraie) résulte logiquement des prémisses considérées comme vraies. Aussi utilise-t-on généralement une suite d’opérateurs logiques, employés d’habitude comme ligatures causales explicites (parce que, puisque, du fait que, étant donné que, pour la raison que, etc.) ou conclusives (donc, par conséquent, etc.). Cet opérateur logique est la marque d’une justification à laquelle est associée la crédibilité de celui qui introduit une argumentation. La justification constitue ainsi un énoncé fondé sur un principe à caractère général ou un raisonnement par lequel on établit la validité de la conclusion à partir de sa relation avec les prémisses. Elle aura un caractère subjectif, représentant le «point de vue» de celui qui supporte une preuve ou un raisonnement à l’appui d’une affirmation. En ce sens, la justification peut être correcte ou (intentionnelle) erronée, selon que les prémisses sont justes ou fausses.
Dans l’action de persuasion et de justification, le locuteur recourt non pas à des syllogismes complets, mais à des énoncés enthymématiques (où peuvent faire défaut soit une des prémisses, soit la conclusion). Si une explication causale est formulée à partir d’un pourquoi?, une justification est exigée par une question épistémologique, et la démarche explanans (condition suffisante) - explanandum (ce qui suit avec nécessité) se réalise dans le contexte de la justification qui garantit le «passage» d’un «fait» à un autre. Les opérateurs logiques de la justification signalent non pas que l’apparition de B est cause de A, mais que l’on associe aux conditions de l’accomplissement du fait qui suit la crédibilité de celui qui argumente. Elle est donc fondée sur la validité de la conclusion et la relation de celle-ci avec les données connues.
Admettre que A est cause de B ou que B se produit parce que A remplit une fonction nécessaire par rapport à lui, c’est reconnaître une cause effective ou une cause finale (ce en vue de quoi un événement arrive). Mais nous ne pouvons pas toujours attribuer une cause A à l’événement B dans un énoncé qui comprend, par exemple, comme opérateur logique, la marque d’une justification.
Le rapprochement entre implication et causalité présuppose aussi l’interprétation de la cause comme une condition nécessaire dans le sens où l’accomplissement de B entraîne la production de A si, en vertu de la relation B A, où l’existence de B présuppose l’existence de A, B doit précéder logiquement et chronologiquement A, « la reconnaissance de B oblige à reconnaître A », quand on parle de B est cause de A on admet aussi que B produit, entraîne ou explique A.
La «réduction» du problème de la causalité à un rapport de conditionnement est imposée par les contraintes de l’explication logique de celle-ci. La causalité s’exprime syntaxiquement, de façon diadique. II en est de même pour le conditionnement qui revêt dans la logique la forme des propositions conditionnelles: si p, alors q. Dans la formulation d’un «jugement causal» on recourt aux termes de nécessaire (N) et suffisant (S). En logique, il y a six types de relations de conditionnement qui résultent de la combinaison de ces catégories. Si une cause est nécessaire à la production d’un effet, une «cause» peut également empêcher que cette «production» ait lieu. Et, avec ce second sens, elle n’est pas moins «cause», mais une cause «négative» cette fois.
Comprendre la cause dans le sens d’obstacle n’exclut pas que celle-ci résulte, elle-aussi, de l’implication CAUSE C CONDITION. Un obstacle est ce qui empêche ou tend à empêcher de se produire une éventualité, de se vérifier une possibilité conceptuelle. Tout comme la cause positive est associée à une condition positive, l’obstacle renvoie à une cause (condition) négative: en niant simplement la condition, on passe de la condition à l’obstacle et inversement. II va de soi que l’interprétation de l’obstacle comme une condition négative est censée connaître l’action des mêmes modalités: S, N, N et S, etc. Sur le plan sémantique, la relation de conditionnement peut être une relation causale, opérant dans l’ensemble des phénomènes par les valeurs de présence et d’absence de ceux-ci, et une relation propositionnelle, i.e. opérant sur les valeurs de vrai et faux de celle-ci. La causalité peut se définir comme une condition nécessaire ou suffisante, ou comme une condition nécessaire et suffisante. La cause positive ou l’obstacle (i.e. la cause négative) se définissent comme une condition suffisante mais aussi une condition nécessaire à la production de l’effet (et inversement).
En interprétant l’implication courante comme une liaison de conditionnement du principe à la conséquence, cette formule peut être nuancée par les valeurs de probable et certain, entre lesquelles il existe la possibilité d’une transition tant sur le plan inférentiel aussi bien qu’implicationnel. La cause probable et la cause réelle proprement dite peuvent être interprétées dans les termes d’une implication probable et certaine: «si l’antécédent est vrai, l’effet est vrai ou faux» et «l’antécédent vrai est associé seulement à la vérité de la conséquence». La cause explicative (ou explication causale) représente la «cause» - type qui se situe le plus à gauche sur l’échelle de l’argumentation causale, se rapprochant ainsi du «degré» zéro de cette gradation. Pour l’interpréter, on doit analyser tant l’unité relative de l’énoncé réalisé «sous le chef de l’élément régissant (par rapport à l’élément régi)» ainsi que la caractérisation de cette relation (de cause et d’explication) comme un rapport d’inférence.
La relation d’explication causale se réduit donc toujours à une relation de conditionnement suffisant où l’explanans est la condition suffisante de l’explanandum qui suit avec nécessité. Nous pouvons donc dire que la relation e/E est aussi une relation intensionnelle, qui établit un lien sémantique, dans lequel l’effet est dérivé logiquement de la cause, tout comme le résultat est déduit de l’antécédent. C’est aussi une relation déductive où les conditions initiales antécédentes sont des conditions suffisantes à la production de l’événement à expliquer ou la cause multiple du phénomène effet situé dans l’explanandum.
L’explication causale, étant déductive, peut être interprétée aussi téléologiquement, i.e. donnée dans les termes de but et de moyen.
L’explication causale présuppose d’une part, la séparation en éléments distincts d’un «construit», par l’abstraction, la généralisation, la simplification et la schématisation, et la réunion ou la « recomposition » du « construit » conformément aux relations causales que présuppose l’appréhension explicative. Entendue de cette façon, nous comprendrons pourquoi la notion d’explication s’applique à la totalité des énoncés incluant une relation causale implicitement ou explicitement formulée. Sur le plan formel, la relation d’explication causale n’est pas propre aux seules ligatures «coordonnantes» stricto sensu. Nombre des conjonctions de subordination causale peuvent remplir la fonction d’un car causal et / ou explicatif et, implicitement, se voir affaiblir la valeur initiale de signe subordonnant.